La barrière de l’Hôpital

              Cette barrière ou si l’on veut l’appeler ainsi,  était une haie dégradante,  imaginée par je ne sais quel esprit, qui était destinée à retenir les visiteurs des malades de l’hôpital à demeurer à l’ordre pour entrer à l’hôpital,  un par un, l’un derrière l’autre, de la petite porte de l’hôpital qui ne faisait pas plus d’un mètre de largeur. Le portail de l’hôpital demeurant toujours fermé sauf pour les véhicules. Cette barrière était constituée par des tubes en acier galvanisée qu’on avait même pas pris la peine de les peindre, et dont le filetage des embouts n’ont même pas été sciées. Elle allait  de la porte jusqu’à la fin de la bâtisse de l’hôpital qui contenait le service des urgences. Ainsi pour prétendre visiter leurs proches les habitants de cette ville devaient aller de l’autre bout de la barrière et s’y faufiler pour y accéder tel un tunnel. Cette image dégradante me renvoyait, petit, aux films Western où je voyais les cowboys, forcer le bétail à passer par des couloirs en barrière afin de les abatte ou les marquer au fer. Ainsi l’image des gens qui s’agglutinaient afin de se frayer un passage dans cette allée, m’étaient similaire à celle du bétail accourant et se bousculant dans le goulot ainsi formé. Cette image demeure un sujet à polémique, était elle nécessaire ou seulement exagérée cette façon de traiter les gens comme du bétail.  Mais dans ma mémoire d’enfant, ce que je retiens le plus de cette barrière, ce sont ces heures interminables qui s’écoulaient souvent la nuit, à jouer avec cette barrière, seul la plupart du temps et je me demande jusqu’à ce jour pourquoi pardi, j’y éprouvais un grand plaisir dans ce jeu d’enfant anodin au point d’en être accro. En effet cette barrière comme j’ai dit était en tube galvanisé de diamètre 50 ou 60 mm, soudées ou emboitées à ses embouts pour donner toute la longueur de la barrière, sur 10 m que faisait la façade de l’hôpital de ce coté du Portail. Conçu en deux longueurs horizontales espacés d’un mètre ou moins et liées entre elles par des barres en traverse aussi en acier galvanisé, fixées à intervalles réguliers de 1.5 à 2 m dressées à la verticales et ancrées au sol. Ainsi faite, la haie métallique laissait un espace d’un mètre qui  permettait  aux enfants de s’y introduire  quand ils étaient autorisé à entrer à l’hôpital, ce qui était rare. Bien sûr pour veiller à cet ordre dégradant il y a avait un personnage que toute la ville le connait eu égard à sa fonction de portier qui était liée  au malheur des gens car on ne visite pas l’hôpital pour la promenade. Cet homme de carrure gigantesque ou du moins ce qui me paraissait de mon regard d’enfant, Antar, ainsi qu’il s’appelait était un homme affable en dehors de son travail qui lui imposait une sévérité parfois extrême car n’hésitant pas à user d’un bâton pour faire de l’ordre. L’administration lui imposait cette attitude, et notre administration ne sanctionne pas en cas d’erreur d’une manière civilisée et administrative, au contraire le responsable administratif réagit à tort ou à raison comme un cocher avec ses chevaux…Ainsi parfois j’assistais à des scènes insoutenables, justement à la porte de cet hôpital.. Il lui arrive à Antar de faillir,  fatigué peut être au maintien de cet ordre, surpris par un prétendu responsable de l’hôpital, alors tout une série d’insultes et d’obscénités fusent sur le visage de Antar et parfois des termes extrêmement racistes puisqu'il était un homme noir. Mais ce genre de douches humiliantes n’était pas le propre de la situation d’Antar. Tout en remontant dans la hiérarchie de cette administration, on en voit des couleurs de ces vociférations qui circulaient du haut au bas de l’échelle.

Mais ce qui nous intéresse ici, C’est ce jeu d’enfant que je m’y adonnais jusqu’à tomber raide de fatigue sans jamais m’en lasser si ce n’est cette limite naturelle de mes moyens physiques qui n’étaient guère reluisantes de vue ma constitution. Le jeu consistait à m’assoir carrément sur la barre haute de la barrière, en laissant mes jambes suspendues en bas, et me renversait alors  en arrière  tout en pivotant autour la barre qui constituait ainsi un axe de rotation de tout mon corps. Une fois renversé en arrière je reste des moments ma tète pendante dans le vide et je recommence indéfiniment la pirouette et j’éprouvais un plaisir immense dû peut être à la relaxation ou de je ne sais quoi. A croire que je cherchais par là à livrer nerfs et muscles aux lois de la pesanteur, afin de libérer toute l’énergie accumulée pendant la journée de mon tempérament, déjà enfant,  qui était nerveux et révolté malgré l’apparence calme et docile. Quelques enfants participaient à ce jeu avec moi mais ne demeuraient pas longtemps et trouvaient ridicule de passer tout leur temps à se balancer de la sorte. Au début Antar me chassait par instinct de veiller toujours à l’ordre quel qu’il soit mais avec le temps il s’en est habitué et à fini par me tolérer ce qui a trahi en lui un cœur sensible et tendre malgré cette apparence légendaire de sa rudesse, tout en se demandant dans son for intérieur  que cache le mystère de ce  bambin qui ne cesse de tournoyer autour de cette barre, à balancer sa tête dans le vide quand le bons sens nous dicte   à maintenir nos tètes bien droites au dessus de nos épaules… En grandissant, j’ai abandonné cette habitude mais parfois elle me manque même âgé maintenant…Elle me produisit un réconfort immense et m’aidait à refouler tous ce que cumule un enfant à cet âge comme émotions, informations nouvelles parfois surprenantes et apprentissages divers qui n’étaient pas  toujours bienfaisants ni dénué de bouleversements. Ainsi allait ma vie dans cette ville, il a suffit de quelques barres d’acier galvanisé pour en trouver une joie d’enfant inconnue et rare dans notre société de l’époque. De ces barres il n’en reste que le néant, fidèle à son âme destructrice, notre ville a fini par démolir et la barrière et tout le décor qui allait avec. Mais là, c’est une autre histoire, fruit de ces réminiscences d’enfant.

 

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