Les cigognes
- Par hkhelifa
- Le 25/09/2015
Cette photo date de ce jour du 07 Juin. Ce sont des cigognes. Les cigognes ont meublé tout le décor quotidien de mon enfance, à part les jours de migration pour aller visiter l’Europe et revenir. Dès que je sortais de la porte de notre maison, se pointe à l’horizon immédiat un nid, de loin déjà paraissant immense. La cigogne est communément caractérisée par son bec long, pour moi, c’était ses longues jambes qui les faisaient marquer car c’était surtout ce que je voyais de loin. Mais, petit, j’étais impressionné par sa façon de nourrir ses petits en prenant la nourriture avec son propre bec pour les poser directement dans ceux de ses petits. Cette façon de faire me paraissait affectueuse comme si je cherchais dans ces oiseaux des sentiments humains. Et souvent je voyais une souris ou rat se débattait dans ce bec. Et pourtant quand je les revois aujourd’hui dans ces arbres sur la rive de l’oued dans cette zone tampon entre la ville et Boukhors, je me demande s’ils ne sont pas quelque part humains pour persister à aimer cette ville malgré tout. En effet les cigognes avaient leurs nids en plein centre-ville. Leurs nids étaient perchés dans des endroits disparus aujourd’hui. De mémoire je cite, le toit de l’église et celui de la Mairie. Sur le toit de la mairie en ardoise tout juste à l’endroit où est posée la sirène avec ses éléments en forme d’entonnoir et au pied de cette toiture se dressaient ces orangers dont les oranges sont amères, immangeables. L’église a disparu et là, est une autre histoire et la cigogne de la mairie, croyez-le ou pas, je ne sais même pas si elle y est de nos jours ou pas, tellement j’ai perdu ce œil enjoué et scrutateur de l’enfant.
Mais pour moi le nid de cigogne le plus spectaculaire est celui du jardin du monument. Ce nid était perché au haut d’un arbre probablement un platane qui s’élançait sur 25 m de hauteur. Ce platane planté en plein milieu de ce jardin appelé le jardin du monument. Il y a un nuance là-dessus, le jardin du monument n’a aucun rapport avec le monument… Ce jardin était improprement appelé le jardin du monument car le monument aux morts qui était situé plus bas de ce jardin avait son propre jardin. Le monument était une stèle qui n’avait aucune forme particulière tout juste une bâtisse dont la base élargie laisse s’ériger en son milieu un élément de un à deux mètres de largeur sur une hauteur de quelques mètres sans plus. Le tout est bâti sur une plateforme élevée de quelques marches, à partir du niveau de la rue. Le reste de la plateforme est destinée à une terrasse sous forme de belvédère donnant une vue sur toute la longueur de l’avenue de l’indépendance, cerné de grand bacs à fleurs en béton. Au niveau de la rue, deux murs de part et d’autres de l’escalier marquaient le monument. Un de ces murs nous servait à un jeu d’enfant. Le « 1.2.3 délivré » qu’on passait des nuits entières à en jouer. Le tout était de couleur blanchâtre qui salit vite et le rend fade et anodin.
Et le seul attrait de ce monument est qu’il était entouré tout autour d’un semblant de jardins, mais qui n’est pas destiné au public c’est-à-dire à la promenade. C’est pour cette raison qu’on l’a ignoré en dénommant l’autre jardin à son nom. Le monument a disparu aujourd’hui, il est de même pour son jardin et le jardin de la cigogne. C’est pour cette raison que les gigognes ont choisis de construire leurs nids sur ces arbres hideux de la rive de l’Oued. Si la disparition du monument est sans regret, il n’en est pas de même pour ces jardins qui constituaient une grande partie le poumon de la ville comme on dit. Le monument dit-on, a dû disparaitre suite à une décision administrative, dont le maitre à penser était un homme de culture qui subitement reconverti en administrateur. L’intention était bonne car la ville paraissait s’arrêter là, en une impasse et on devait l’éclater et sauter ce bouchon qui l’étouffait au milieu de son propre centre quand tout le reste connaissait une expansion. L’idée est discutable mais tient à un bout. Je le redis, je ne regrette pas le monument qui était érigé par le grand colon à la gloire de ses morts tombés dans les champs de leur honneur dans des batailles à Saint-machin et Aix-truc. On n’en a que foutre.
Mais pour la disparition des jardins, même si on accepte l’idée, on sent quand même un pincement au cœur…Des arbres séculaires abattus comme des roseaux donnent du remous. Tout compte fait, cette idée de tout éclater dans la ville, j’en étais un fervent adepte, pour mes propres raisons qui se situent au niveau de bousculer un peu cet esprit des habitants de la ville qui était à cette époque assez obtus et renfermé sur eux-mêmes par cette culture du petit village où tout le monde connait tout le monde. Finalement, il en était rien et cette idée s’arrêta à cet endroit-là et à ce stade de maturation sans jamais aller au-delà. Peut-être son initiateur a été surpassé par la résistance pour jeter l’éponge car il a oublié que les choses doivent se faire à partir du bas et non pas du haut.
Et tout juste au voisinage de ce monument et de son jardin, séparé par un terrain vague qui donnait accès au beau escalier de la synagogue, qui rappelle cet autre qui donnait accès à l’ancien tribunal de la ville, démoli, et une fois passé ce terrain vague, notre jardin commence et fini exactement à la rue de la porte de la redoute qui porte l’inscription « Porte de Mascara 1857 ». En résumé, ce petit jardin était destiné exclusivement au promenade sans plus et les enfants y étaient interdis d’accès… Bien sûr on y allait pour voler les différentes roses qu’était réputé avec, ce jardin. Et puis pas loin de ce jardin, une simple rue ou presque les séparent, il y avait ce jardin qui lui était fréquenté par les enfants. Ce jardin que les enfants dénommaient celui du « Houta » i.e. poisson et les adultes celui du Taous (Paon) en raison de l’existence de deux paons parmi d’autres oiseaux élevés dans une grande cage. Les enfants l’appellent Houta en raison d’un jeu qui était rudimentaire mais apprécié par les enfants. Ce jeu est composé d’une barre plate métallique de 30 cm de large sur une longueur de 3 m accrochés à deux mats par ses deux bouts de sorte qu’elle balance en pendule. Les enfants montent dessus à cheval et se font balancer tous seuls au gré de leur propre mouvement.
Les cigognes refusent de quitter cette ville et je ne sais toujours pas pourquoi…Ils ont élit domicile je veux dire, nids, à Boukhors tout juste sur une rive de l’Oued. En fait ils ne sont pas exactement dans Boukhors puisque Boukhors, l’initial, est situé au-delà du pont… C’est comme ils veulent dire qu’ils sont de notre ville et non pas de Boukhors.
Mais pourquoi les cigognes ont choisis ce coin-là ? situé entre Boukhors et la ville comme s’ils veulent dire qu’ils ne sont pas de Boukhors, quartier dont les habitants étaient à l’origine produit d’un certain exode dont le terme ici n’est pas pris au sens péjoratif, et ils veulent dire qu’il sont bel et bien de la ville au même titre que les habitants de la ville. Mieux encore, ils devaient être dans la ville bien avant l’établissement humain dans les parages. Et d’un coup ils sont chassés sans annonce ni avis, par la disparition de leur endroit de prédilection. Et ils insistent qu’ils ne sont pas de Boukhors, ce village qui portait le nom de « village satellite » avant même sa création, inventé par je ne sais quel Bureau d’étude d’Urbanisme, et je ne sais pas pourquoi je n’aime ce genre de Bureaux. des urbanistes qui étaient des géographes, sociologues, démographes et j’en passe, des métiers dont les travaux sont destinés beaucoup plus aux études universitaire fondamentales et académiques car sujet à à une multitude d’hypothèses et polémiques par excellence et ne peuvent pas de ce fait répondre concrètement à des problèmes de gestion concrète d’une ville. Et pourtant le commun des mortels sait que l’activité crée l’établissement humain et non pas le contraire. Le berger dresse sa tente là où il y a quelque chose à brouter pour son cheptel. Maie cela est un autre sujet à débat.
Ces urbanistes qui, jugeant l’extension de la ville assez démesurée suite à un exode qu’il l’ont qualifié de rural, un mot qui n’a aucune signification partout ailleurs dans le monde sauf dans notre ville et notre pays, alors il a été prévu afin de juguler à leurs yeux cette supposée marée humaine qui était en train d’envahir la ville, de construire, deux villages, pas moins que cela, éloignés de la ville afin de drainer cette population envahissante et de la parquer dans ces ghettos, mot qui prend toute sa signification pour expliquer cette vue d’esprit. Et ironie de tous les sorts, ils les ont appelés « villages satellites » dénomination officiellement administrative dont les urbanistes du Bureau d’étude, ont en donné l’inspiration. Ils les ont appelé les « villages satellites » comme les français ont appelés les quartiers Grabas, les « villages negres, les VNDT ». La différence, et elle n’est pas des moindre, c’est que les français ont dénommés avec cette façon réductrice les quartiers quand ils étaient déjà établis, et notre administration a condamné les habitants de ces deux villages en les affublant du nom de satellite bien qu’avant qu’ils soient nés…c’est-à-dire que ce sont des objets qui gravitent autour de la ville mais ils ne lui appartiennent pas et par conséquent la ville ne leur appartient pas. La composante des habitants de ces villages devraient être issus du l’exode déjà entamé à cette époque surtout après avoir décrété notre ville un « chef-lieu » d’une vaste wilaya.………. Et avec son fameux Plan Spécial.
Ainsi donc on a eu l’idée de créer ces « villages satellites » qui doivent graviter autour de la ville par analogie aux satellites qui orbitent autour de la terre. En un mot, des villages ou quartiers, qui dès le départ on leur fait comprendre qu’ils sont étrangers à cette ville.
Et ils ont passé à l’acte, et de ces deux villages, on a vu l’ébauche de la création d’un seul, celui de Boukhors, quant au deuxième a vu les fondations de ses constructions couler un certain temps pour s’arrêter net suite à autre décision administrative dont la raison est inconnue. Les fondations en béton demeurent toujours comme vestiges au voisinage de l’ancien-récent parc à bestiaux (Le souk des ovins), celui dont la clôture était circulaire et qui a fait penser à un moment donné à une centrale nucléaire vu sur photo-satellite...
La raison de l’annulation du deuxième village satellite demeure inconnue et elle n’est surement pas la conséquence d’une remise en cause d’une décision avérée erronée et corrigée afin de ne pas aggraver une situation donnée…Non ! Notre administration ne connait pas ce genre de révision et remise en cause…Notre administration fonctionne au cumul des décisions, une décision vient enterrer l’autre sans l’annuler ni la réviser de sorte que la confusion demeure un temps, le temps que les gens s’habituent à la situation d’imbroglio.
Boukhors a été entamé en partie et fini par la suite par la population en dehors de toute décision administrative cette fois ci. Ainsi donc, Boukhors fut créé au départ sur cette décision administrative, et complété par la suite par l’absence de décision… Eh oui ! comme notre administration est connue par ces fameuses décisions, elle est aussi connue par l’absence de décision tout court.
Et Boukhors grandit et petit à petit sort carrément du domaine de gestion de l’administration et on s’en est rappelé que lors des années de sang quand le gros de la logistique des actions terroristes venait justement de ce quartier et sur ce, on a décidé de créer un nouveau Boukhors, le Boukhors II, et ils l’ont appelé avec ce nom amorphe et insipide, les 1000 logements. Ce réflexe de nommer des cités entières par son nombre de logements vient du fait que l’administration considère les citoyens et leur résidence que comme des objets statistiques. Cette façon de voir entraine bien entendu la personnification de l’administration, de sorte que dans la ville, on connait le premier responsable et le dernier agent administratif par leurs noms respectifs, mais le contraire n’est pas vérifié, les citoyens sont des citoyen-sujets qui n’ont pas de nom.
Les cigognes demeurent ainsi, un signe d’une vie déjà révolue.